Rappel de TVA et revenus réputés distribués : les leçons des arrêts récents
Rappel de TVA et revenus réputés distribués : les leçons des arrêts récents
Le rappel de TVA soulève une question sensible : quelle part peut être imposée chez l’associé au titre des revenus réputés distribués ? Entre l’article 109 du CGI, l’article 110 et le mécanisme de la cascade L.77 du LPF, la Cour administrative d’appel de Versailles rappelle une ligne claire déjà tracée par le Conseil d’État.
Rappel de TVA : définition et enjeux en cas de contrôle fiscal
Lorsqu’une société fait l’objet d’un contrôle fiscal, il arrive fréquemment que l’administration mette en évidence des recettes non déclarées et procède, corrélativement, à un rappel de TVA. Derrière cette notion un peu technique se cache un mécanisme simple : la société a perçu un montant toutes taxes comprises de ses clients, mais n’a pas reversé la fraction correspondant à la taxe. En pareil cas, l’administration ne se contente pas de réclamer la TVA éludée ; elle peut aussi considérer que les sommes ainsi conservées constituent des bénéfices occultes, et qu’ils doivent être imposés, en bout de chaîne, entre les mains des associés.
C’est ici que se noue la difficulté. Faut-il imposer l’associé sur le montant TTC, donc en incluant la TVA rappelée, ou seulement sur le montant hors taxe des recettes dissimulées ? Et, plus largement, comment articuler le rappel de TVA avec la notion de revenus réputés distribués prévue par l’article 109 du code général des impôts ?
Le cadre juridique
Le droit fiscal apporte une réponse nuancée, organisée autour de deux leviers. Le premier est le 1° du 1 de l’article 109, qui vise les bénéfices non mis en réserve ou incorporés au capital. Le second est le 2° du 1 du même article, qui vise les sommes effectivement mises à la disposition des associés. La frontière entre les deux est essentielle : dans le premier cas, c’est l’existence d’un bénéfice comptable ou fiscal qui fonde la distribution ; dans le second, c’est la preuve d’une appréhension concrète des fonds par l’associé.
L’article 110 du CGI apporte une précision déterminante : les bénéfices distribuables au sens du 1° s’entendent de ceux qui servent de base à l’impôt sur les sociétés. C’est là qu’intervient un mécanisme technique mais capital, dit de la « cascade », prévu par l’article L.77 du Livre des procédures fiscales. Ce texte organise l’imputation du rappel de TVA sur le résultat de l’exercice vérifié afin d’éviter une double taxation, à la fois à l’IS et à la TVA. Autrement dit, la cascade a pour effet de neutraliser la TVA rappelée dans le calcul du bénéfice distribuable.
La jurisprudence du Conseil d’État (CE, 19 juillet 2024, n° 491690)
Cette logique a été consacrée par le Conseil d’État dans un arrêt du 19 juillet 2024. Le juge administratif a clairement distingué deux situations. Lorsque le rappel de TVA est imputé sur l’exercice de sa mise en recouvrement, le bénéfice rehaussé inclut la totalité des recettes TTC : l’associé peut donc être imposé sur ce montant. En revanche, lorsque la cascade est appliquée et que la TVA rappelée est déduite du résultat de l’exercice vérifié, le bénéfice distribuable se limite aux recettes hors taxe. Dans ce second cas, la TVA ne peut être imposée chez l’associé qu’à la condition d’apporter la preuve de sa mise à disposition effective, sur le fondement du 2° de l’article 109.
L’arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Versailles (n° 23VE00902)
C’est précisément cette grille de lecture qu’a reprise et précisée la cour administrative d’appel de Versailles dans son arrêt du 8 juillet 2025. L’affaire concernait une société dont le chiffre d’affaires avait été reconstitué par le vérificateur, lequel avait appliqué un taux forfaitaire de charges et considéré que le rehaussement du résultat, ainsi que les rappels de TVA, constituaient des revenus réputés distribués entre les mains de l’associé. Devant les juges, l’administration a tenté de substituer le fondement juridique, en passant du 2° au 1° de l’article 109, et a invoqué la qualité de « maître de l’affaire » de l’associé pour justifier l’imposition.
La cour n’a pas suivi cette approche. Elle a rappelé que, conformément à l’article 110 du CGI, les revenus réputés distribués sur le fondement du 1° du 1 de l’article 109 se limitent au rehaussement du résultat retenu pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Dès lors que la cascade avait été mise en œuvre, la masse distribuable ne pouvait dépasser le montant hors taxe des recettes dissimulées. Quant à la TVA rappelée, elle ne pouvait être imposée qu’au titre du 2° du même article, et uniquement si l’administration prouvait que cette somme avait été effectivement mise à la disposition de l’associé. Or cette preuve faisait défaut, et la seule invocation de la qualité de « maître de l’affaire » ne pouvait pallier cette insuffisance.
Ce qu’il convient de retenir
L’arrêt de la CAA de Versailles est particulièrement instructif. Il rappelle que l’assiette des revenus réputés distribués doit être strictement délimitée par les textes, et qu’il ne saurait être question d’imposer mécaniquement la TVA rappelée. Il met aussi en lumière l’importance de la charge de la preuve : si l’administration entend taxer l’associé sur ce terrain, elle doit établir de manière précise et circonstanciée que la somme lui a été effectivement mise à disposition.
En pratique, cela signifie que, dans un contexte de contrôle fiscal, il convient d’être particulièrement attentif à la mise en œuvre du mécanisme de la cascade et à la base légale choisie par l’administration. L’associé ne peut être imposé sur le montant TTC des recettes dissimulées que dans l’hypothèse où la cascade n’a pas joué ; dans le cas contraire, l’imposition doit se limiter aux montants hors taxe, sauf preuve explicite d’une mise à disposition personnelle de la TVA rappelée.
Pour les dirigeants comme pour les associés, l’enseignement est clair : un rappel de TVA n’entraîne pas nécessairement une taxation intégrale dans leurs mains. La jurisprudence récente encadre strictement l’assiette distribuable et impose à l’administration une véritable démonstration lorsqu’elle prétend aller au-delà. Cette précision, qui peut paraître technique, a pourtant des conséquences financières considérables en cas de contrôle, et mérite à ce titre une vigilance particulière.
Sandro ASSOGNA