Cumul des sanctions fiscales et pénales et obligation de communication des pièces : l’arrêt du Conseil d’État du 15 avril 2025
Cumul des sanctions fiscales et pénales et obligation de communication des pièces : l’arrêt du Conseil d’État du 15 avril 2025
Le contentieux fiscal et pénal se croisent de plus en plus souvent. Les contribuables faisant l’objet d’un contrôle doivent désormais composer non seulement avec les pénalités fiscales, mais aussi avec le risque d’une procédure pénale pour fraude. Dans ce contexte, l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 15 avril 2025 (n° 470382) apporte des précisions utiles à deux égards : l’étendue de l’obligation pour l’administration fiscale de communiquer les documents obtenus auprès de tiers, et les conditions dans lesquelles peut se cumuler une sanction fiscale et une condamnation pénale.
Définition et enjeux
Deux notions sont au cœur de l’affaire.
La première est l’obligation de communication des informations obtenues de tiers (article L.76 B LPF). Elle garantit que le contribuable puisse comprendre et contester les éléments utilisés contre lui lors d’un redressement. En principe, l’administration doit lui communiquer la teneur et l’origine des documents, et lui transmettre une copie s’il en fait la demande. L’enjeu pour les contribuable est majeur : si l’accès aux pièces est limité, son droit de défense est fragilisé.
La seconde est le cumul des sanctions fiscales et pénales. Traditionnellement admis en France, ce cumul a été encadré par la jurisprudence constitutionnelle et européenne au nom du principe « non bis in idem », qui interdit de punir deux fois les mêmes faits. La difficulté est donc de déterminer quand deux sanctions, l’une fiscale et l’autre pénale, portent ou non sur les « mêmes faits ».
Cadre juridique
L’article L.76 B du LPF impose à l’administration d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements obtenus auprès de tiers et de lui communiquer, sur demande, les documents correspondants. Cette garantie est centrale dans la procédure contradictoire.
Sur le plan des sanctions, les articles 1729 et 1741 du CGI organisent respectivement la majoration fiscale pour abus de droit (jusqu’à 80 %) et les peines pénales de fraude fiscale (amende et emprisonnement). Le Conseil constitutionnel (décisions QPC 2016-545 et 546 du 24 juin 2016) a admis le cumul, mais en le subordonnant à la proportionnalité et à un plafonnement global si les sanctions visent strictement les mêmes faits.
La jurisprudence du Conseil d’État du 15 avril 2025
Dans l’affaire jugée, un contribuable avait été redressé avec application de la majoration de 80 % pour abus de droit, et parallèlement condamné pénalement pour un ensemble d’infractions : abus de biens sociaux, travail dissimulé, blanchiment de fraude fiscale et blanchiment de travail dissimulé.
Sur la question de la communication des pièces, il soutenait que l’administration avait violé l’article L.76 B LPF en ne lui transmettant pas copie des documents issus de la procédure pénale et visés dans la proposition de rectification. Le Conseil d’État rejette cet argument : en tant que prévenu renvoyé devant le tribunal correctionnel, le contribuable avait déjà accès à ces documents en vertu de l’article 388-4 du code de procédure pénale. Il n’était donc pas privé de la garantie prévue par le LPF, même si les conditions d’accès différaient de celles de l’administration.
S’agissant du cumul des sanctions, le contribuable invoquait la réserve du Conseil constitutionnel de 2016, selon laquelle le montant global des sanctions fiscales et pénales ne doit pas dépasser le plafond le plus élevé encouru. Mais le Conseil d’État relève que la condamnation pénale portait sur un concours d’infractions variées, et pas uniquement sur les faits sanctionnés fiscalement par la majoration pour abus de droit. Faute d’identité parfaite entre les faits, la réserve constitutionnelle ne s’appliquait pas. L’arrêt confirme ainsi que le plafonnement global n’est exigé que lorsque les sanctions portent strictement sur les mêmes comportements.
Ce qu’il convient de retenir
L’arrêt du 15 avril 2025 retient deux enseignements.
D’abord, en matière de communication des documents de tiers, le Conseil d’État adopte une lecture restrictive : il suffit que le contribuable ait eu la possibilité d’accéder aux pièces dans une autre procédure (ici, la procédure pénale) pour que l’administration ne soit pas tenue de lui en fournir copie. Cette approche semble à mon avis réduire la portée protectrice de l’article L.76 B LPF par rapport à la jurisprudence de 2019, qui exigeait un accès dans les mêmes conditions que l’administration.
Ensuite, sur le cumul des sanctions fiscales et pénales, la Haute juridiction confirme une ligne désormais claire : la réserve constitutionnelle de 2016 n’impose un plafonnement que si les sanctions frappent exactement les mêmes faits. À défaut d’identité parfaite, les pénalités fiscales et la condamnation pénale peuvent se cumuler.
Sandro ASSOGNA